Notes flottantes

 

Je me souviens fréquemment, non sans plaisir et en dépit de la brièveté de cette expérience, de l’un de mes premiers cours de méthodologie de la recherche. Inscrit en DEA de philosophie à l’université Paris-X Nanterre, je suivis l’unique séance d’un séminaire qui avait lieu pour l’occasion à la Sorbonne et qui était animé par Jean-Robert Armogathe, théologien, spécialiste de Descartes et fin connaisseur d’outils numériques dont l’émergence, alors — nous étions en 1994 et les disquettes étaient encore en usage —, nourrissait tous les espoirs des documentalistes et des chercheurs. Depuis Paris et les bureaux de la Sorbonne, l’horizon était vaste : lancer une recherche thématique dans un fichier comportant plusieurs milliers de notes, voir apparaître des liens inattendus entre celles-ci, rassembler ces dernières par convergences de thèmes ou laisser la machine opérer d’elle-même cette convergence, ou encore, instantanément, sur simple requête en langage ordinaire, accéder à une note introuvable autrement et remettre la main sur une phrase, un concept, une notion oubliés. 

À cette étape de mon parcours de formation, je passais l’essentiel de mon temps d’étudiant à prendre des notes de lectures manuscrites. J’ai raconté une partie de cette histoire dans une vidéo consacrée à un outil de prise de notes dont je me sers quotidiennement depuis 2009 : Tinderbox. The tool for notes.

Alors peu familier des travaux d’Umberto Eco et encore moins de ceux du sociologue Niklas Luhmann, lequel avait conçu une méthode de prise de notes que j’utilise en partie aujourd’hui, je n’avais aucune idée de la manière dont je devais m’y prendre pour relever dans une œuvre les éléments dont j’eusse pu avoir besoin pour mes recherches. Ce séminaire tombait à point. J’en sortis moi aussi plein d’espoirs. 

Au fil des ans, si ma prise de notes a connu bien des ajustements, l’outil que j’utilise depuis près d’une dizaine d’années est resté inchangé. Quand il s’agit de rédiger une simple fiche de lecture, un traitement de texte peut faire l’affaire. Il en va tout autrement d’une recherche universitaire.

À cet égard, Tinderbox offre à ses utilisateurs des fonctionnalités inédites à ma connaissance : organiser et visualiser ses notes depuis plusieurs points de vue, créer des liens entre des notes situées dans différentes sections d’un même fichier, classer ses notes selon des attributs système ou usager qu’il est possible de façonner à sa guise, la liste des fonctions et des aménagements que cet outil propose, d’année en année, justifie à elle seule le choix qu’a fait son concepteur, Mark Bernstein, de proposer non pas un manuel ou un guide de l’utilisateur, mais un ouvrage qui tente d’en dire l’esprit et la « philosophie ». Tel est The Tinderbox Way, ouvrage aussi passionnant que peut l’être Come si fa una tesi di laurea, livre de méthodologie de la recherche écrit par Umberto Eco.

Tinderbox n’est pas seulement un outil numérique. Mark Bernstein propose également à ses utilisateurs un forum actif et très coopératif où une section est entièrement dédiée à des tutoriels vidéo qui ont été réalisés par Michael Becker.  En pleine crise pandémique, Mark Bernstein a également pris l’initiative de proposer à ces derniers des ateliers en visio-conférence où chacun, débutant ou expert, peut apprendre et contribuer à sa mesure. C’est un très bel exemple d’atelier numérique