Narrations de recherche

 

 

Dans mes souvenirs d’école primaire, un détail revient régulièrement, comme si quelque chose d’important pour moi s’était joué autour de ce fragment. Il s’agit d’une machine. Je n’ai pas conservé un souvenir très précis de la manière dont on désignait celle-ci. Mes camarades de classe, quel nom lui donnaient-ils ? Comment l’appelais-je moi-même ? Comment en parlions-nous à nos parents ? Je dirais aujourd’hui qu’il s’agissait d’un duplicateur à alcool. Cet appareil de la taille d’une machine à écrire domestique occupait une place tout à fait centrale dans notre salle de classe, dans nos activités d’apprentissage, dans notre quotidien. Quel âge avais-je ? 

Fréquemment, nous laissant un moment seuls dans l’une des sections de la classe, notre maîtresse actionnait avec force la manivelle de cette petite machine. Lors d’un premier essai, le papier encré glissait silencieusement sur la surface lissée d’un gros rouleau bariolé de couleurs. Une feuille imprimée à l’identique sortait alors mécaniquement de la machine. La feuille était examinée. Puis, le mouvement des bras allant s’accélérant, la multiplication des feuilles débutait. L’odeur d’encre et d’alcool embaumait toute la pièce. Je force à peine le trait.

Chacun connaît le destin de cet appareil : d’énormes photocopieuses ont remplacé sans peine le duplicateur à manivelle. En son temps, pourtant, cette machine jouait un rôle tout à fait essentiel. Elle permettait aux enseignants de mon école de proposer aux élèves des supports d’apprentissages individuels : leçons, exercices, poèmes, etc. Elle facilitait aussi l’impression de textes et de dessins que les élèves confectionnaient et la fabrication de recueils créatifs distribués aux familles aux moments des congés scolaires. La machine n’était pas dissociée de nos apprentissages. À nos yeux d’enfants, quelle âme y trouvait-elle ?

Je ne saurais dire la part qu’occupera finalement le souvenir de cet appareil dans mes années de formation au collège, puis, en classe de cinquième, dans mes débuts à la radio lorsque, de proche en proche, animant tour à tour une émission de musique classique, puis du Music & News et découvrant le travail de réalisateur, je fus amené à faire de la radio ma toute première activité professionnelle. Peut-être l’esprit d’une époque, résolument tourné vers l’expérimental et le projet d’une école créative, au contact de la vie, comme l’écrivit Erwin Schrödinger en 1950, dans sa conférence sur l’humanisme et la science, peut-être cet esprit vif et inventif s’est-il tout entier diffusé dans ce parcours de formation, des études au travail.

Quoi qu’il en soit, une part de cet esprit se retrouve incontestablement dans un recueil de textes que la bibliothèque Apollinaire de Pontoise a eu récemment la gentillesse d’imprimer. 

Lorsque l’atelier Histoires de vie a été créé dans ce lieu, en 2011, il s’agissait, pour l’essentiel, d’échanger oralement des souvenirs autour de jeux de mémoire. Il arrivait néanmoins assez fréquemment que ces échanges se prolongent en séquences d’écriture, seul ou à deux ou troix voix. En 2018, l’atelier a été repensé autour d’un projet d’écriture autobiographique : échanger des souvenirs et les mettre en récits, par écrit, dans l’ici et maintenant d’une rencontre, en se tenant au plus près d’une écriture de recherche, fragmentaire, associative, simple, dépourvue d’ambition littéraire. Ce sont certains des textes écrits lors de ces séances qui ont été rassemblés dans ce recueil intitulé La mémoire vive. Le document compte une trentaine de pages et s’accompagne de photos et de dessins personnels. Il est à l’image du travail de mémoire qui, depuis plus de 10 ans maintenant, au cœur de la ville, dans un lieu ouvert au public, s’accomplit dans cet atelier.