Naviguer dans ses notes

 

Dans ses notes sur les Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar retrace quelques-unes des étapes par lesquelles elle en est venue, d’année en année, à élaborer cette œuvre majeure de son répertoire d’écrivain.

En lisant ces notes qui donnent une idée assez précise du chemin d’incertitude qu’il lui a fallu parcourir afin de mener à bien cet ouvrage, je me demandais, ces derniers jours, quel usage elle ferait, aujourd’hui, des nombreux outils d’écriture que nous offre l’informatique : quel emploi ferait-elle, par exemple, des tags, ces étiquettes numériques qui permettent de classer des documents et de faire des recherches dans ses notes, elle qui explique avoir accumulé, sur une période de plusieurs années, de 1924 à 1929, une documentation abondante et complexe ?

Projets, idées, courriers, souvenirs, journal, liens électroniques : un ensemble de notes classées ici, avec Tinderbox, en mode Outline.

Quel usage ferait-elle de certaines fonctionnalités numériques dont l’utilisation favorise des effets de perspective et de focalisation impossibles à obtenir au moyen d’outils manuscrits ? Je pense ici, en particulier, au fait de pouvoir relire les notes d’une période donnée à partir de mots-clés ou selon des méta-données mises au point par l’utilisateur lui-même.

Parmi les attributs système de Tinderbox, l’attribut Created classe les notes d’un fichier en fonction de leur date de création.

Si le processus de l’écriture romanesque m’est beaucoup moins familier que celui de l’écriture académique, néanmoins, l’élaboration d’une thèse de doctorat a achevé de me convaincre de l’utilité, voire de la nécessité, de certains de ces outils numériques. Parmi ceux-ci, il en est un que j’utilise depuis 2009 et dont je ne cesse de parler avec plaisir dans ce journal. Je veux parler de Tinderbox, cet outil de prise de notes auquel son concepteur, Mark Bernstein, consacre, ces derniers mois, plusieurs tutoriels, et dont je me suis régulièrement servi, durant la rédaction de ma thèse, notamment pour prendre des notes de lecture.

Un exemple de notes de lecture : à gauche, le titre des notes; à droite, le texte de chaque note avec ses attributs système et utilisateur.

Parmi les nombreuses fonctions qu’offre cet outil numérique hors du commun, il en est une — l’Attribute Browser, navigateur d’attributs en français —, qui présente, dans le cadre d’un travail d’écriture académique ou romanesque, un intérêt majeur : relire ses notes depuis un point de perspective analytique, comme si chaque note constituait une entrée de dictionnaire ou de catalogue.

Le navigateur d’attributs. À gauche, une liste d’attributs utilisateur : nom, type, projet, champ.

Cet outil, dont de nombreux usagers du forum Tinderbox se font régulièrement l’écho, possède en particulier l’avantage, si l’on est un peu familiarisé avec cette méthode de travail, de favoriser une réflexion de type associatif. Le navigateur d’attributs présente en effet de nombreuses similitudes avec une boîte à fiches physique conçue autour d’un système de classement par onglets : il est possible, par exemple, de parcourir ses étiquettes et ses notes du même pas et d’associer ainsi librement à partir de petites portions de textes auxquelles chaque étiquette donne un accès focalisé. Si ma note comporte plusieurs étiquettes, je pourrai, de ce fait, la relire depuis plusieurs points de focalisation, un peu comme si, contemplant un paysage depuis des points de perspective successifs, j’en saisissais très finement différents détails, imperceptibles autrement.

En mode Map : en haut, à gauche, le prototype que j’utilise pour toutes mes notes; en bas, à gauche, le container qui regroupe l’ensemble de mes notes; en bas, à droite, un agent chargé de rassembler chaque note dont l’attribut utilisateur “type” comporte la mention “en cours”.

Tinderbox est un outil d’une grande polyvalence et la fonction que je décris ici — relire ses notes dans l’Attribute Browser — ne représente qu’une petite partie, certes significative, d’un logiciel dédié à l’écriture vraiment exceptionnel.